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Un usage critique des

médias traditionnels

Rachida, 48 ans

Née en Belgique de parents berbères, Rachida est une militante. Active dans une association promouvant les droits des femmes arabes, elle manifeste régulièrement pour différentes causes, de la solidarité avec le peuple palestinien aux manifestations de soutien à Charlie Hebdo.  Progressiste assumée, Rachida préfère de loin l'analyse au sensationnalisme médiatique. Grande consommatrice du journal Le Monde, sa personnalité engagée se ressent à travers ses choix informationnels. Certains médias n'ont d'ailleurs pas survécu à son regard critique. C'est notamment le cas du quotidien Le Soir et même des Journaux Télévisés, qu'elle ne consomme plus que dans des cas exceptionnels. 

Zakaria, 30 ans

Artiste à ses heures perdues, Zakaria mène une vie pleine d'ambition. A seulement trente ans, il est chanteur reconnu et co-fondateur d'une web-TV visant à donner une meilleure image de la jeunesse bruxelloise issue de l'immigration.  Selon lui, la communauté arabo-musulmane est médiocrement représentée sur les plateaux de télévision. Friand du petit écran, il continue néanmoins à consommer les chaînes belges classiques, soit la RTBF, RTL, et BX1.  Il n'en mène pas moins une démarche critique vis-à-vis du journalisme actuel, formulant des pistes qui assureraient selon lui un meilleur traitement télévisé de l'immigration maghrébine. 

Une consommation mosaïque ouverte aux médias alternatifs 

Inès,22 ans & Kamel, 58 ans

 Active dans le monde associatif musulman, Inès conçoit sa vie comme l'opportunité de contribuer à "faire bouger les choses" et ouvrir les mentalités. Elle a de qui tenir. Son père, Kamel, est un citoyen du monde. Progressiste convaincu, il a dû fuir le régime tunisien de Ben Ali pour ses convictions politiques. Avide de liberté d'expression, il en a payé le prix en étant poursuivi pour ses idées pendant des années, y compris en Belgique. 

Aujourd'hui, Kamel est enseignant en religion islamique dans les écoles communales uccloises. Passionné par la diversité culturelle, il s'informe en se nourrissant d'une multitude d'influences. "J'ai attrapé la manie de zapper" sourit-il. Entre médias arabes, BBC, postes français, télévision tunisienne et même chaînes africaines, Kamel se construit une palette informative bigarrée à partir de laquelle il élabore son propre point de vue.

C'est, à peu de choses près, la logique qu'applique sa fille Inès sur internet. Elle se plait à confronter les informations relayées par les sites du journal Le Soir ou de la RTBF avec des contenus issus de médias alternatifs ou communautaires. "Les médias traditionnels, je les lis pour voir ce qu'ils vont encore bien pouvoir dire. Ils manquent cruellement de nuance. Ils donnent une image négative des musulmans. C'est pour cela que les médias alternatifs sont vitaux" soutient-elleInès consulte ainsi Mediapart, Orient XXI, la radio communautaire Arabel ou encore le site Alohanews, qu'elle apprécie parce que les journalistes y commentent des faits d'actualité avec un regard propre et assumé.

Père et fille ont donc ce point commun d'être en recherche d'une "autre information". La pluralité des sources est pour eux le remède contre "les manipulations médiatiques".

Anissa, 23 ans

Originaire de la région marocaine du Rif, Anissa (prénom d'emprunt) est née au coeur de Bruxelles. Grande adepte des réseaux sociaux, c'est sur la toile que se dessine sa mosaïque informationnelle. Intéressée par les thématiques liées au radicalisme, au conflit israélo-palestinien ou encore à la guerre en Syrie, elle suit de nombreuses "pages" sur Facebook et Twitter, fournissant de l'information depuis les zones de conflit concernées. 

Pour Anissa, il n'est pas forcément nécessaire d'être journaliste pour procurer de l'information pertinente. Elle préfère les nouvelles fournies par des citoyens ou des factions présent(e)s sur place à des dossiers préparés par des journalistes depuis leur bureau, à distance du terrain. Pour s'informer de la situation en Syrie, Anissa est ainsi abonnée à des pages comme Idlib News ou Alep News. Consciente qu'il s'agit d'informations locales gérées par des groupes rebelles ou des révolutionnaires syriens, elle estime que "tant qu'elle le sait, elle est à même de prendre elle-même de la distance". Les médias alternatifs occupent ainsi une place de taille dans ses choix informationnels.

 

Néanmoins, il lui arrive de regarder le Journal Télévisé sur la RTBF, de zapper sur Euronews ou de suivre des débats sur Al Jazeera. Elle souligne que sur la chaîne qatarie, "les débats sont bien plus profonds qu'ailleurs". Sur internet, elle apprécie aussi les réflexions approfondies de Mediapart, du quotidien Le Monde et du Huffington Post.

 

Ce qui est sûr, c'est que l'actualité internationale fait fuir la jeune fille des médias nationaux. "Ils ne disent pas tout. Il y a des choses atroces qui se passent dans le monde et ils n'en parlent pas. C'est pour cela que je me tourne vers les médias alternatifs. Là, au moins, ils montrent la vérité sans la dénaturer".

TémoignageAnissa
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La tentation complotiste

Mehdi, 25 ans

Né d'un père belge et d'une mère marocaine, Mehdi apprécie lire et se cultiver. Il s'informe principalement via les réseaux sociaux, en suivant les pages Facebook du journal Le Soir ou de la RTBF. Pas de quoi, néanmoins, assouvir sa soif de décryptage. Méfiant vis-à-vis des versions officielles, il apprécie tout particulièrement les articles d'analyse, surtout lorsqu'ils osent remettre en question certaines politiques actuelles. Mehdi est ainsi preneur de contenus comme Mediapart, mais aussi  Investig'action, fondé par le controversé Michel Collon, ainsi que le Réseau Voltaire, clairement considéré comme complotiste. Sa sensibilité aux contenus anti-conformistes provient d'une remise en question du rôle des "grandes puissances" dans les conflits internationaux et le terrorisme actuel. Mehdi ne s'en cache pas : il a de plus en plus de mal à adhérer à la version des médias mainstream en ce qui concerne Daesh et les mobiles des attentats. Il est donc sensible à l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'un complot. Sensible, mais pas convaincu. Et c'est bien là que se loge le problème : Mehdi se trouve dans un flou total. Il ne sait plus qui croire, il ne sait plus que croire. 

Nabil, 35 ans

Natif de Casablanca, Nabil a grandi au Maroc.  "Addict" du web, il ne regarde la télévision que lorsqu'il n'a "rien d'autre à faire". Et ce n'est pas qu'une question de temps. L'informaticien et basketteur professionnel estime que la télévision est soumise à un contrôle abusif de patrons de presse dirigés par l'appât du gain. Selon lui, les médias arabes n'échappent pas à la règle : "Al Jazeera, ce sont les plus grands menteurs!" s'exclame-t-il. Il reproche à la chaîne qatarie de rechercher le buzz, le sang, la catastrophe, quitte à exagérer les faits. Dégoûté des médias traditonnels, c'est donc vers les contenus alternatifs que Nabil se tourne. De recherche en recherche Google, avec l'appui des publications trouvées sur les réseaux sociaux, il navigue entre différentes versions des mêmes événements, quitte à parfois surfer sur la vague complotiste. 

Khalid, 65 ans

L’homme qui se dévoile ici n’a pas voulu révéler son nom, ni même son parcours de vie. Malgré son extrême méfiance vis-à-vis de la presse, il a néanmoins accepté de livrer son témoignage sous le voile de l’anonymat. Nous l’appellerons Khalid.

 

D’origine marocaine, Khalid est arrivé en Belgique dans les années septante. Titulaire d’un diplôme de secondaires, il est aujourd’hui retraité et sceptique à outrance vis-à-vis des médias. Ainsi, il multiplie les sources d’information. “Etant donné que tous les médias sont vendus, j’écoute tout le monde et je fais un résumé” explique-t-il d’un ton univoque. Pour s’informer de l’actualité belge, Khalid zappe entre les chaînes télévisées de la RTBF, de RTL, d’Euronews et de TV5. Il avance qu’en Belgique, “seule la RTBF s’efforce d’être neutre. Le reste s’arrange aux côtés des autres pays et particulièrement la France". Il poursuit: "Pour moi, Le Soir, RTL ou Moustique sont dominés, sont orientés vers des intérêts qui ne sont pas journalistiques ”. Khalid plante ainsi d'emblée le décor. « Ce que je demande, c’est la vérité, simplement la vérité, sans partisannerie » ajoute-t-il.

Pour ce qui est des nouvelles internationales, le spectre de ses sources d’information s’élargit aux télévisions françaises de type France 24, mais aussi, selon les événements, aux chaînes espagnoles, arabes, chinoises ou russes diffusées soit en arabe, soit en français. Les sujets qui suscitent tout particulièrement son intérêt sont, à l’unanimité, liés à la géopolitique mondiale. “Je suis captivé par le monde arabo-musulman, et tout particulièrement la Palestine. En somme, ce qui m’intéresse, ce sont les grandes puissances et leurs arrogances” résume-t-il sans détour. Khalid ne se satisfait pas des versions officielles. Il pense haut et fort que les lobbies sionistes exercent une mainmise sur les entreprises de presse, que ce soit aux Etats-Unis ou en France. D’ailleurs, pour lui, l’Hexagone est en proie à une infiltration de ses médias par les intérêts israéliens. “L’arrivée fulgurante de l’homme d’affaires israélien Patrick Drahi dans le monde de la presse montre que les médias écrits, radio et télévisés français sont progressivement dominés par les juifs”.

Lorsque l’on tente de comprendre d’où proviennent ces idées aux tendances conspirationnistes notables, la réponse est, pour le moins, éclairante. Khalid est preneur des médias alternatifs, et pas n’importe lesquels. Il surfe la plupart du temps sur le site Radio Islam, dont le slogan est le suivant : “Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ! Levons-nous !”. L’entièreté des contenus de ce site sont construits autour de l’idée que le monde politique et les médias sont dominés par les juifs, servant les intérêts d’Israël à l’échelle internationale et humiliant les musulmans et le monde arabe. Ce type d’argumentaire ouvertement complotiste déteint fortement sur les propos de Khalid.

Mais comment en est-il arrivé là ? Il semble que les attentats du 11 septembre 2001 aient été un tournant dans le regard qu’il porte sur les médias occidentaux. « Personne ne peut oublier les odes au président américain Georges W. Bush. Fondées sur l’idée d’un danger islamique, elles ont impulsé la légitimation des guerres menées par l’Occident dans le monde arabe. Les attentats ont été une juteuse opportunité pours les lobbies juifs de diaboliser l’islam et légitimer les frappes à Gaza, au Liban, en Afghanistan, en Irak, en Syrie... En plus, ce discours a mené au développement d’une islamophobie à l’échelle mondiale ». Et d’ajouter : «  Il est intolérable de stigmatiser une communauté pour des actes commis par des individus qui n’ont rien à voir avec l’islam ». On comprend par là que les positions de Khalid sont fondées sur la rancœur. Peiné par la stigmatisation de sa religion et de sa « communauté », il semble évacuer sa frustration en pointant du doigt un coupable, un ennemi.  En l’occurrence ce qu’il nomme les lobbies juifs.

Il est d’ailleurs convaincu que “les lobbies sionistes mettent la pression sur des politiciens, achètent des médias et réduisent des journalistes au silence pour mieux servir leur agenda, à savoir l’amplification du pouvoir d’Israël et la mainmise sur le monde arabe”. Bien sûr, il faut à nouveau à tout prix prendre de la distance avec ces propos. Mais ils montrent à quel point peut se développer, ici et aujourd’hui, l’idée que les médias soient muselés. Khalid explique d’ailleurs lui-même que cette conviction est le fer de lance du terrorisme chez certains jeunes : “ils ont perdu toute confiance dans les médias. Ils refusent de se calquer sur des idées politiques et sociales favorables aux lobbies sionistes et à Israël. Ils se sentent manipulés, endoctrinés et ont l’impression de ne pas être écoutés. Il ne faut pas s’étonner qu’ils se radicalisent et deviennent des bombes à retardement”. A nouveau, Khalid ne met pas de gants. Ces propos choquent, mais ont le mérite de donner à comprendre comment la rupture de confiance envers les médias peut être le ferment de la radicalisation. Pour lui, la manière dont la presse réagit aux problématiques liées au port du voile, aux cantines halal ou aux lieux de culte musulmans est révélatrice d’une islamophobie ambiante, portant en elle de nombreux dégâts collatéraux, dont des attentats toujours plus meurtriers. Il accuse ainsi les médias d’une forme d’autocensure : “Aucun journaliste ne peut aborder les causes réelles ou potentielles de la radicalisation. Toute tentative d’analyse autre que celle fournie par les médias dominants et la classe politique devient une apologie du terrorisme”. La solution est donc pour lui de se tourner vers internet, qui, selon ses termes, « permet de déjouer toute tentative de contrôle par les systèmes qui cherchent à nous dominer ».

Au vu de ce témoignage, l’écueil semble justement que sur internet, il n’y ait plus de contrôle du tout. La manipulation prend d’autres formes que celle évoquée par Khalid, mais n’en est pas moins présente. En témoigne la puissance avec laquelle Radio Islam et son idée d’un complot juif semblent s’être emparées de son raisonnement.  

Molenbeek après les attentats: la fracture

Au Centre Communautaire Maritime

A Molenbeek, le fait d'être projeté sous le feu des médias du monde entier a fait des remous. Au Centre Communautaire Maritime, les habitantes du quartier se retrouvent chaque mercredi matin pour partager un petit-déjeuner et passer un moment entre femmes. Et vu l'actualité récente, leurs discussions ont été pour le moins animées. Elles livrent aujourd'hui leur point de vue sur le traitement journalistique des attentats. Une occasion aussi d'évoquer l'hybridité de leurs usages informationnels, au confluent des Journaux Télévisés nationaux et des chaînes de télévision marocaines.

Karim,36 ans 

Molenbeekois jusqu'à la racine, Karim est un amoureux de son quartier. C'est pourquoi il a été particulièrement marqué par les attentats du 13 novembre à Paris et ceux du 22 mars à Bruxelles. Au-delà de l'épreuve émotionnelle suscitée par ces drames, c'est l'image de tout un quartier qui a basculé. Bien que friand des médias traditionnels, Karim a été "dégoûté" de certains traitements. Très sceptique vis-à-vis des médias alternatifs, il continue à s'informer via les médias classiques mais tient à livrer son ressenti(ment).

L'importance des

médias arabes

Sonia,45 ans 

Sonia a grandi à Sfax, en Tunisie, dans une famille aisée. Elle a d'abord connu l'ère Bourguiba, puis les débuts du régime de Ben Ali. Les larmes aux yeux, elle se rappelle un état policier, violent, dans lequel elle ne pouvait pas  aller à l'école avec son foulard.

 

C'est le coeur lourd qu'elle a dû quitter son pays pour rejoindre son mari venu étudier à l'université en Belgique. Déchirée à l'idée de quitter sa famille, elle a souffert d'une grande période d'adaptation. Heureusement,  sa connaissance du français l'a aidée à faire face dans un environnement inconnu et angoissant. Elle a alors décidé de s'investir dans le milieu associatif pour faire profiter d'autres femmes immigrées de ses aptitudes. Aujourd'hui, Sonia fréquente l'association bénévolement quatre fois par semaine, dispensant entre autres des cours de français.

 

Volontaire de vivre sa religion en parallèle avec une citoyenneté active, elle se rend aussi à de nombreuses conférences sur les enjeux contemporains du vivre-ensemble. Elle dit apprécier des personnalités comme le sociologue Raphaël Liogier, mais aussi l'islamologue Tariq Ramadan. Attachée à concilier au mieux sa double culture, Sonia s'informe tant sur les médias belges et français que sur les chaînes arabes, avec néanmoins une nette préférence pour Al Jazeera.

Abdelhamid,74 ans 

A l’heure de prendre cette photographie, le cadre de vue s’est imposé comme une évidence. Si l’on devait associer Abdelhamid à un meuble, ce serait sans aucun doute son fidèle fauteuil en cuir brun. Compagon de ses états d’âme, l'homme y passe le plus clair de son temps, sous le regard mi-attendri mi-réprobateur de sa femme Yvonne. Ce fauteuil, placé stratégiquement à côté de la radio et en face de la télévision, est l’endroit par excellence où Abdelhamid s’informe, zappant presque manichalement entre chaînes belges, chaînes françaises et chaînes arabes. Il est aussi le lieu où il rêve de sa patrie, le lieu où il repose son corps fatigué, le lieu où il se souvient de sa jeunesse bouleversée.

Né en 1942 à Tanger, dans le nord du Maroc, Abdelhamid a trop vite dû renoncer à l’innocence de son enfance. Orphelin de son père avant même d’atteindre les dix printemps, il s’est vu contraint d’abandonner l’école en quatrième primaire pour aider sa mère veuve à joindre les deux bouts. C’est ainsi qu’à neuf ans à peine, le petit Hamid vendait déjà du poisson au marché. D’année en année, il a enchaîné les petits boulots. En pleine période d’indépendance, Tanger changeait de visage au fur et à mesure qu’il grandissait.  Petit à petit, les sociétés françaises disparaissaient, muant la cité de ville-phare à ville morte. “Tous les jeunes Marocains désertaient, parce qu’il n’y avait plus d’avenir pour eux” se souvient-il. Ils partaient vers l’eldorado européen, avec pour destination rêvée les pays en demande de main d’oeuvre. C’est en suivant le mouvement qu’Abdelhamid s'est retrouvé en Belgique. 

Au fur et à mesure qu’Abdelhamid avance en âge, la nostalgie s’empare progressivement de lui. Voyages de plus en plus longs et de plus en plus fréquents au Maroc, visage éteint une fois de retour en Belgique, bifurcation croissante des médias occidentaux vers les médias arabes. Yvonne confirme “Ce n’est que quand il retourne là-bas, qu’il retrouve sa terre et ses amis, que je le sens revivre”.

Au fil des années, Abdelhamid se tourne de plus en plus vers les chaînes paraboliques et satellitaires. Elles le maintiennent en contact avec sa culture d’origine. Pas de quoi, néanmoins, évoquer une consommation exclusivement identitaire. Tous les midis, Hamid et Yvonne regardent le Journal Télévisé de 13h sur RTL. Le soir, ils privilégient plutôt la télévision française TF1, qu’ils considèrent comme plus internationale que les chaînes belges, “avec des journalistes présents partout dans le monde”. Cependant, la journée–type d’Abdelhamid ne se limite pas à ces deux rendez-vous d’information. Il tient à suivre le journal marocain, sur le poste "1" et sur la chaîne tangéroise Medi TV. "Depuis que la parabole existe, on peut se tenir informé de ce qui se passe au pays. Il y a au moins huit chaînes marocaines, sans parler des télévisions algériennes et tunisiennes"  s'enthousiasme-t-il. Ce qui l’intéresse, c’est la vie quotidienne des Marocains et plus particulièrement des habitants de sa bourgade. “Je veux savoir ce qui a changé là-bas, quelles sont les nouvelles lois, les nouvelles constructions. Rien que connaître la météo, ça m’intéresse”  évoque-t-il d'une voix encore riche de son accent authentique. Lorsqu’Abdelhamid téléphone à ses amis restés ou rentrés au Maroc, il a ainsi des sujets de conversation.

Durant la matinée, Hamid se plait à regarder des reportages et documentaires sur la télévision tangéroise. “Cela me permet de voyager dans mon fauteuil. Je vois comment les gens vivent dans d’autres pays”. Marqué par son propre parcours de bourlingueur, il demeure avide de découvrir d’autres cultures. “Dans ce genre de documentaires, on voit la misère du monde” conclut-il, non sans se souvenir de la misère qu’il a lui même traversée depuis son plus jeune âge.

 

A côté de ces habitudes télévisées, Hamid est également un grand consommateur de radio. Du matin au soir, le poste est en marche. Ses chaînes de prédilection pour les rendez-vous d’information sont Contact et Nostalgie. Mais bien souvent, il se laisse aller à sa propre nostalgie en écoutant des chaînes radiophoniques en arabe, diffusant notamment des interprétations du Coran et des chants traditionnels. 

Contrairement à sa femme, Abdelhamid refuse de se mettre au web. "Il ne veut pas se moderniser" sourit Yvonne. En fait, il s'agit moins d'une question de volonté que d'une crainte : "J'ai peur qu'en touchant à internet, j'en devienne rapidement dépendant. Pour moi, Facebook et autres réseaux sociaux, c'est mauvais. Ca isole les gens."

Par contre, il ne manque pour rien au monde l’émission du vendredi matin sur la télévision marocaine : « C’est ce jour-là que le roi va à la mosquée pour la prière, et qu’on voit ce qu’il va inaugurer comme hôpitaux ou écoles » détaille-t-il les yeux pétillants. Concernant la politique marocaine, l’homme s’avoue, cependant, dépassé : « Je sais quel parti domine, je connais le roi, le Premier Ministre mais ça s’arrête là. Je suis plutôt l’actualité sociale, les manifestations, les changements, mais la politique m’intéresse moins vu que je ne suis pas sur place ». Il préfère plutôt se tenir informé de la politique générale du Moyen-Orient, via la chaîne satellitaire Al Jazeera. Par ailleurs, il se dit plus connaisseur de la politique belge, qu’il suit principalement sur RTL via le Journal Télévisé et le débat politique du dimanche matin.

 

Amateur de ce genre de débats, Hamid regrette cependant qu’à la suite des attentats de Bruxelles, le terrorisme ait tant monopolisé les plateaux. « J’aurais mille fois préféré écouter des émissions historiques, médicales, mais les attentats ont bouleversé toute la programmation ».  Il avoue, collatéralement, ne pas se sentir représenté par les porte-paroles de la communauté arabo-musulmane. « Quand ils sont avec des Belges, ils disent une chose et quand ils sont à la mosquée, ils disent autre chose. Je n’aime pas cette double face ». Ces représentants ne sont pas les seuls à subir le regard critique d’Hamid. « Aucun dirigeant n’est honnête. Ils veulent le pouvoir et l’argent ». Et d’étendre ce constat aux journalistes, dans un élan de généralisation : « Quand on est journaliste, on se met au service d’un parti » défend-il. Ainsi, il explique ne pas toujours avoir confiance dans les médias. C’est d'ailleurs ici que bascule la conversation. Abdelhamid avance qu’« il y en a beaucoup qui disent que ce sont les Juifs qui commandent le monde entier ». Et d’ajouter, plus convaincu : « Les Juifs dominent le monde. Ils ont des ministres partout. En France, c’est la même chose : Sarkozy, Hollande, Chirac... ils sont tous Juifs. Ce sont eux le cerveau. D’ailleurs, on n’a jamais vu un juif ouvrier. Ils s’entraident entre eux. Mais en Europe, on le voit moins car ils changent leur nom ». Bien sûr, ces propos sont le fruit d’un mythe répandu dans l’imaginaire complotiste collectif. Mais à en croire le témoignage d'Abdelhamid, ces croyances sont plus répandues qu'on pourrait le croire, conditionnant parfois la consommation médiatique au profit des médias arabes. 

© 2016 par Sophie Mergen. 

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